Titre : | Le corps tombe : l'obésité massive entre cannibalisme et bistouri (2015) |
Auteurs : | NAVARON AUDREY ; CORCOS MAURICE |
Type de document : | Article |
Dans : | EVOLUTION PSYCHIATRIQUE (2 vol 80, 2015) |
Article en page(s) : | 362-374 |
Note générale : | Bibliogr. |
Descripteurs |
[SANTEPSY] CHIRURGIE [SANTEPSY] CHIRURGIE BARIATRIQUE [SANTEPSY] CORPS [SANTEPSY] DEUIL [SANTEPSY] INCORPORATION [SANTEPSY] INTROJECTION [SANTEPSY] MELANCOLIE [SANTEPSY] OBESITE |
Résumé : | Objectifs - L'appréciation de l'obésité comme maladie, qui apparaît aujourd'hui comme une évidence est relativement récente et résulte d'une construction sociale. Celle-ci s'inscrit dans la logique du 'bio-pouvoir' décrite par Michel Foucault qui répond selon lui à une volonté de domestication des corps et d'emprise sur la démographie. Dans ce contexte, l'obèse est un malade en devenir imposant à la société le poids de sa responsabilité économique. C'est à partir de cette contrainte économique que la société légitime son droit de regard sur ce qui excède les normes désormais fixées par une médecine collective. Les moyens de remédier à cette maladie moderne se sont multipliés, la chirurgie bariatrique apparaissant aujourd'hui comme instrument de perte de poids ultime et radical. Cet article propose, d'une part, de déployer des hypothèses d'articulation entre l'obésité massive, forme extrême de l'obésité et la mélancolie et, d'autre part, il interroge le recours de plus en plus fréquent à la chirurgie bariatrique et ses effets potentiels sur le psychisme. Méthode - La méthode repose sur la mise en tension de l'observation clinique d'une position de stagiaire psychologue dans un service spécialisé dans la prise en charge de l'obésité et de la chirurgie et de la métapsychologie freudienne, notamment à partir des deux modèles de la mélancolie. Les patients rencontrés dans ce cadre ne sont pas représentatifs des obèses en général, mais souffrent d'obésité extrême qui les invalide souvent totalement. En plus des complications somatiques qu'il génère, leur poids finit par les immobiliser au point de ne plus pouvoir s'extraire de chez eux, les enfermant dans la dépendance. La question de la perte s'impose alors en creux en tant qu'elle échappe constamment. La résonance psychique de cette impossibilité à perdre devient d'autant plus manifeste dans les situations de deuil. J'ai ainsi réalisé après-coup qu'une majorité de patients rencontrés dans ce cadre avaient dans leur passé un vécu de deuil douloureux. Résultats - Quelque chose d'une impossibilité à perdre finit par s'inscrire corporellement dans le phénomène du 'yoyo pondéral' fréquemment observé. Ainsi de nombreux patients obèses ont au cours de leur vie, perdu et pris des dizaines voire des centaines de kilos. Cette alternance de perte et reprise de poids maintes fois répétée peut-elle se lire comme tentative de maîtriser l'absence sur le modèle de la bobine freudien. Cette répétition corporelle pourrait alors traduire une impossibilité d'introjection. Discussion - Le deuil peut marquer le corps de son empreinte, voire à l'extrême le paralyser lorsqu'il déploie son destin funeste dans la mélancolie. L'obésité morbide, forme extrême d'obésité qui en devient paralysante est-elle une forme de mélancolie appliquée au corps ? L'effondrement corporel serait ainsi la conséquence d'une faillite narcissique consécutive à la perte de l'objet primordial. Qu'en est-il de l'articulation de la clinique de l'obésité à la demande de chirurgie de plus en plus fréquente ? La chirurgie bariatrique vient créer une restriction physique souvent perçue par les patients comme limite interne. Certains se sentent 'sécurisés', d'autres la contournent et rendent compte, non sans jubilation de ce qui ressemble à la transgression d'un interdit. Pour d'autres encore, la demande de chirurgie semble s'articuler avec une angoisse de castration, dont ils font de l'organe désormais coupé le porte-parole. Ceci invite à interroger les effets d'après-coup de la chirurgie. Conclusion - Selon le modèle freudien de la mélancolie, l'hyperphagie évoque une activité auto-érotique narcissique qui viderait peu à peu le sujet de son investissement objectal, le coupant progressivement de l'autre et concentrant tous les intérêts libidinaux sur l'estomac 'organe hypocondriaque'. La chirurgie irait dans le même sens, en remplaçant une activité auto-érotique par une autre, pouvant précipiter à terme une faillite objectale, d'où le risque d'un effondrement psychique. [résumé d'éditeur] |
En ligne : | http://www.em-premium.com/article/969763 |